Histoire de Mazeppa
Cette huile sur bois, oeuvre de Théodore Chassériau datée de 1851, est exposée au Musée des Beaux Arts de Strasbourg. Pour en savoir plus sur Strasbourg et l'Alsace.
Yvan Mazeppa (1639 – 1709) est un personnage historique dont le souvenir et la célébrité sont dus essentiellement au poème de Lord Bayron (1788 – 1824) édité en 1819. George Gordon Byron fut le poète romantique le plus connu et le plus lu de son époque.
Le personnage historique
Yvan Stepanovitch Mazeppa naît en 1639 dans le village de Mazepintsy, propriété de sa famille, dans la province ukrainienne de Podolie, alors rattachée à l’Union Polono-Lituanienne.
Son père Adam Stepan Mazeppa avait servi sous les ordres de l’hetman Bagdan Khmelnytsky (1595 – 1657) et sa mère Maryna Mokievska deviendra à la mort de son mari abbesse du couvent de Kiev-Petchersk.
Il reçoit une excellente éducation, d’abord à l’Académie de Kiev, puis au Collège des Jésuites de Varsovie. Page à la Cour du Roi de Pologne Jean II Casimir Vasa (1609 – 1672) il est envoyé de 1656 à 1659 en Hollande, Allemagne, France et Italie pour y étudier les nouveautés technologiques et scientifiques réalisées en Europe. De retour à Varsovie, il est envoyé plusieurs fois en mission diplomatique auprès des cosaques d’Ukraine et des tatars de Crimée.
Les cosaques étaient des communautés militaires occupant les régions du Don, de la Volga et de l’Ukraine, composées d’hommes libres à majorité slaves, mais qui accueillaient favorablement tous les proscrits et fugitifs. Cette société, originale pour l’époque, élisait au cours d’assemblées appelées Rada, leurs chefs portant le nom d’Ataman ou Hetman et toutes leurs ressources étaient équitablement redistribuées aux habitants de leurs camps retranchés, les Sichs. D’abord cultivateurs et éleveurs, ils formèrent rapidement des groupes militaires, les Starchines, devenant, lorsqu’ils ne pillaient pas villages et caravanes, des guides dans la steppe, des garde-frontières contre les tatars et des mercenaires au service de la Pologne et de la Russie, mais toujours dans un esprit de liberté et d’indépendance.
Les tatars de Crimée, d’origine turque, créèrent le Khanat de Crimée (1441 – 1783). Craints pour leurs incursions dans les royaumes chrétiens limitrophes, ils y capturaient des esclaves vendus ensuite aux ottomans. Le chiffre de ces captures varie entre 1 et 3 millions.
A la mort de son père en 1665, Yvan Mazeppa regagne Bila Tserka pour s’occuper du domaine familial et s’y marie avec une riche veuve dont il n’aura pas d’enfant.
Mais en 1669 il rejoint les cosaques de l’hetman Petro Dorochenko qui, inquiet de voir la Pologne désireuse de s’emparer des riches terres d’Ukraine, s’est allié aux tatars et aux ottomans. Il en sera le conseiller jusqu’à ce que ce dernier soit destitué et remplacé en 1672 par Yvan Samoylovich. Mazeppa accomplira alors pour lui diverses missions à Moscou et arrivera ainsi à lui faire rompre son alliance ottomane pour faire allégeance au Tsar Pierre Ier Le Grand.
Cependant Yvan Samoylovitch, dont les troupes ont subi de lourdes défaites face aux tatars, songe à rompre les traités signés à Moscou. Dénoncé, arrêté et exilé, il est remplacé en 1687 par Mazeppa et celui-ci, devenu le favori du Tsar, décoré de l’Ordre de Saint André, est nommé Prince d’Ukraine. Il essaie de moderniser l’Hetmanat favorisant le commerce et l’agriculture, créant de nombreuses églises et écoles, mais accumulant aussi une immense fortune.
Il craint cependant pour l’indépendance de l’Ukraine et son propre remplacement par un prince russe et joue pendant longtemps un double jeu, menant des contacts avec les polonais et les suédois, tout en jurant de sa fidélité à Pierre Le Grand . Celui-ci, averti de la possible trahison de ce « Prince Polonais », ne veut y croire et lui garde toute sa confiance.
Le refus du Tsar de lui envoyer des troupes pour s’opposer aux polonais de Stanislas Leszczynski (1677 – 1766) le jeta en 1708 dans les bras du Roi de Suède Charles XII (1697 – 1768). Ce dernier luttait depuis 1700 contre la Russie qui avait envahi certaines de ses provinces, débutant ainsi la Grande Guerre du Nord (1700 – 1721). Pierre Le Grand, à cette nouvelle, fait ravager l’Ukraine, exécuter les fidèles de l’Hetman et le remplace à ce poste par Yvan Skoropodski (1640 – 1722).
A la bataille de Poltova le 8 juillet 1709 les 27000 hommes de Charles XII et les rares troupes de Mazeppa sont battus par les 45000 hommes du Tsar. Le Roi de Suède et Mazeppa s’enfuient, d’abord en Valachie puis à Bender en Moldavie, alors territoires turcs, où ils seront plus tard rejoints par le Roi de Pologne.
Vieilli et épuisé, Mazeppa y meurt le 28 août 1709 et son corps est enterré au Monastère Saint Georges de Galati. Le Monastère sera dévasté et la tombe profanée lors d’un raid tatar en 1710.
Pierre Le Grand qui, jusqu’au dernier moment, faisait confiance à son ami, lui retire l’Ordre de Saint André, demande au clergé de jeter sur lui l’anathème, fait traîner dans les rues de Moscou un mannequin à son effigie et crée pour lui l’Ordre de Judas.
Si Mazeppa est considéré comme un traître par la Russie, l’Ukraine le nomme en 1991 Héros de l’Indépendance et crée en 2009 l’Ordre de Mazeppa.
Le personnage de légende
L’histoire de la course folle de Mazeppa paraît dans le poème narratif de Lord Byron qui trouve son sujet dans - la Vie de Charles XII par Voltaire (1694 – 1778) - éditée en 1731. Ce dernier avait pu lire les Mémoires d’un Gentilhomme Polonais de Jan Chrysostom Pasek (1631 – 1701) ainsi que les récits des participants aux guerres russo-suédoises qui parlaient de Mazeppa.
Le poème de Byron commence le soir de la bataille perdue de Poltava quand Mazeppa raconte à Charles XII les souffrances endurées lors de son supplice. Mais le Roi s’était endormi pendant ce récit et Mazeppa souriant se tait alors. Celui-ci lui relatait qu’au service du comte Fallbowski il avait séduit sa jeune épouse, mais dénoncé par un serviteur, il fut attaché nu sur le dos d’un cheval sauvage qui l’amèna dans une course folle de plusieurs jours jusque dans les plaines d’Ukraine où il s’écroule épuisé de fatigue. Lui-même, inanimé et presque mort de souffrance, voit une jeune fille penchée sur lui, avant de se réveiller dans une hutte cosaque où il a été recueilli et soigné. Ayant retrouvé ses forces, ses dons de cavalier, sa science des armes et ses compétences intellectuelles, le font bientôt élire hetman. Par reconnaissance et admiration pour ce peuple cosaque fier et libre, il décida de consacrer le reste de sa vie à préserver l’indépendance de son pays adoptif. |
Victor Hugo (1802 – 1885) dans son trente-quatrième poème des Orientales (1820) reprend le même récit faisant relever Roi son héros après sa terrible chevauchée.
Musiciens, peintres et sculpteurs s’empareront de ce sujet, créant un nombre impressionnant d’œuvres romantiques dédiées à ce nouvel héros de l’Europe.
Par contre pour la Russie, Mazeppa est un traître qui n’était mû que par des intérêts strictement personnels. Dans son poème Poltava, publié en 1828, Alexandre Pouchkine (1799 – 1837) décrit un vieillard de 70 ans, amoureux de Maria sa très jeune filleule et de plus fille de son ami et allié Kotchoubei, qui, ulcéré, avertit le Tsar des projets de trahison de Mazeppa. Alexandre Ier, ne pouvant y croire, livre Kotchoubei à la vengeance de l’hetman qui le fait exécuter. Maria, devenue folle de chagrin, n’ayant pu empêcher la mort de son père, apparaîtra dans cet état à Mazeppa le soir de la défaite de Poltava.
L’oeuvre
Au contraire des grandes toiles réalisées par des peintres tels Louis Boulanger, Horace Vernet ou Eugène Delacroix, Théodore Chassériau crée une œuvre de petite taille (66X53cm) sur un support inhabituel pour l’époque, le bois. Dans un raccourci saisissant, le peintre relate et la fin d’un jeune Prince Polonais un peu fat, et sa renaissance en futur chef de guerre cosaque. L’attention est d’abord attirée par le cheval, aux pattes raidies par la mort et à l’œil exorbité, sur lequel repose, plus alangui que désarticulé, le corps blanc de Mazeppa.
La jeune cosaque, aux longues nattes noires, est vêtue d’une longue tunique au bleu intense, à la fois orientale et bysantine. Son bras tendu semble protéger le corps des corbeaux noirs qui planent dans le ciel. De l’autre main, pensivement, elle tient sa tête, se demandant si ce supplicié est mort ou encore vivant. La grande plaine d’Ukraine semble se terminer en une mer sur laquelle se couche un pâle soleil. Amateur d’orientalisme, le peintre a placé à l’arrière des tentes alors que les demeures cosaques étaient généralement construites en dur. Devant celles-ci, les cosaques sont curieusement vêtus comme des bergers du Moyen Orient. |
En savoir plus sur l'artiste
Théodore Chassériau naît le 20 septembre 1819 à Samana en actuelle République Dominicaine, et meurt à Paris le 8 octobre 1856.
En 1822 il rejoint son frère aîné à Paris où il devient l’élève de Dominique Ingres de 1830 à 1834 et expose au Salon en 1839 à l’âge de 20 ans. En 1846 il voyage en Algérie, et son goût pour l’Orient se retrouvera durablement dans ses œuvres. De ses fresques réalisées pour le Palais d’Orsay, il ne reste malheureusement que quelques fragments et l’essentiel de son œuvre, influencée par le classicisme d’Ingres (1780 – 1867) et le romantisme de Delacroix (1798 – 1863), se trouve dans l’église Saint Merry de Paris et au musée du Louvres.